Rome accuse la France d’appauvrir l’Afrique et d’aggraver la crise migratoire

Le vice-président du Conseil Italien, qui est aussi dirigeant du parti anti-système Mouvement 5 étoiles (M5S), Luigi Di Maio, a accusé dimanche la France d’appauvrir l’Afrique en utilisant les réserves de change du continent pour se financer et d’être  ainsi responsable de la crise migratoire et précipitant ces pays dans la pauvreté. « Il y a des dizaines de pays africains où la France imprime une monnaie, le franc des colonies. Et avec cette monnaie elle finance la dette publique française », a-t-il déclaré.  Est-ce vrai ?

Ce qu’il appelle « franc des colonies », c’est le franc CFA (« franc de la Communauté Financière Africaine »), une monnaie utilisée par 14 pays d’Afrique, dont 12 anciennes colonies françaises : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal, le Togo, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad. Dissociés en deux unions monétaires distinctes disosant chacune de sa banque centrale, celle de l’Afrique de l’Ouest, l’Union Economique et Monétaire Ouest Africaine (UEMOA), qui comprend les 8 premiers pays de cette énumération, et celle de l’Afrique centrale, la Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), qui englobe les 6 derniers, ces pays l’utilisent à titre de monnaie officielle.

La France n’a aucun intérêt à utiliser les réserves des pays africains pour se financer

Le franc CFA a été créé le 26 décembre 1945, date à laquelle la France a ratifié les accords de Bretton Woods, et à l’époque, il avait été nommé « franc des Colonies Françaises d’Afrique ». Sa parité est indexée sur l’euro (1 euro = 655,696 francs CFA), ce qui implique que ces pays subissent les effets de la politique de la Banque centrale européenne. Les Etats africains qui l’ont adopté bénéficient en contrepartie d’une monnaie garantie par le Trésor français dont la convertibilité est totale et s’engagent à déposer la moitié de leurs réserves en France. En rémunération de ces dépôts, ils perçoivent un intérêt de 0,75 %.

Cette monnaie est donc effectivement un héritage du passé colonial français, et de ce point de vue, le vice-président du conseil italien a raison. En revanche, des économistes soulignent qu’on ne peut dire que la France utilise les réserves qui lui ont été confiées pour se financer : tout d’abord, les montants déposés par les banques centrales africaines à la banque de France ne représentent que… 0,25 % de la dette française, ce qui signifient qu’elles représentent une goutte d’eau par rapport aux besoins de financement de la France.

En outre, le politicien italien passe sous silence le fait que les 0,75 % de rémunération de ces dépôts sont bien supérieurs au taux que notre voisin du Sud paye sur les obligations qu’il émet habituellement pour se financer. Autrement dit, si la France utilisait ces fonds, ce serait à très mauvais compte… et elle ne peut le faire de toute façon, compte tenu que ceux-ci peuvent lui être retirés à tout moment, compte tenu que ces réserves ne lui sont nullement acquises.

Une critique partiellement infondée, mais…

La diatribe de Luigi Di Maio n’est donc pas fondée, lorsqu’il accuse la France d’appauvrir les pays utilisateurs du franc CFA en uilisant leurs fonds pour se financer. De plus, la plupart des migrants d’Afrique de la vague migratoire actuelle viennent surtout du Soudan, de l’Erythrée et du Nigeria, des pays qui n’ont pas le franc CFA pour monnaie.

En revanche, sa critique pose deux vraies questions, à savoir, la politique de la Banque centrale européenne, qui n’enregistre pas toujours des résultats harmonieux au sein de la zone euro, peut-elle être bénéfique et adaptée aux besoins des pays africains qui ont adopté le franc CFA ? Et d’autre part, la France exerce-t-elle encore une emprise au travers du franc CFA ?

Une monnaie indexée sur l’euro est-elle bénéfique pour des pays africains en développement ?

Lorsque l’on examine les économies en question, on note qu’elles présentent des taux de croissance allant jusqu’à 6 %, pour les plus dynamiques d’entre eux, les pays de l’Afrique de l’Ouest, en particulier le Sénégal et la Côte d’Ivoire. En revanche, dans les pays d’Afrique centrale, la croissance est quasiment nulle. Les situations sont donc disparates.

Les pays à forte croissance sont pénalisés par la forte parité de la monnaie unique, qui nuit à leurs exportations hors zone euro, et à la lutte contre l’inflation, qui entrave leur développement.  La Banque centrale d’Afrique de l’Ouest, qui règle sa politique monétaire sur celle de la BCE, réduit en effet l’offre de crédit pour les entreprises et les Etats africains, « ce qui empêche toute politique d’industrialisation », affirme l’économiste sénégalais Demba Moussa Dembele.

Cependant, l’indexation sur l’euro offre une garantie de convertibilité et une stabilité bienvenue. Ainsi, l’inflation tend à être inférieure dans les pays qui utilisent le franc CFA par rapport aux autres pays africains. En outres, ces pays ne peuvent recourir à la planche à billets pour se financer, ce qui les contraint sans doute à s’endetter de manière plus raisonnable.

Une bonne monnaie pour ceux qui prospèrent grâce à lui… Et une mauvaise pour ceux qui voudraient émanciper l’Afrique

Enfin, l’usage du franc CFA demeure très controversé, et ses détracteurs invoquent l’accès privilégié de la France aux ressources naturelles africaines, en raison du dispositif monétaire.  De fait, les entreprises françaises sont encore très présentes dans les zones monétaires CFA. « La France a accepté d’octroyer l’indépendance à ses colonies d’Afrique subsaharienne à condition qu’elles acceptent d’utiliser le franc CFA et que la France conserve le monopole de leurs matières premières », rappelle l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla.

Dans l’une de ses anayses, publiée dans l’African Review of Political Economy, il se montre plus précis : « Le Franc CFA est une bonne monnaie (…) pour ceux qui en bénéficient : les grandes entreprises françaises et étrangères, les dirigeants des banques centrales d la zone, les élites souhaitant transférer à l’étranger leurs fortunes acquises plus ou moins légalement ; et les chefs d’Etat qui ne souhaitent pas offenser la France, eyc. Mais pour ceux qui souhaitent exporter des produits compétitifs, obtenir des crédits à des taux abordables, trouver du travail, oeuvrer à l’intégration du commerce continental, ou militer pour une Afrique libérée de son passé colonial, le Franc CFA est un anachronisme qui doit être éliminé de façon méthodique et ordonnée ».

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