Retour sur la plus grosse escroquerie qui a frappé le monde du vin

Le vin est bien souvent au cœur de grosses arnaques et escroqueries représentant des milliers d’euros. Voici la plus célèbre. 

Le 5 décembre 1985 à Londres se déroule une vente aux enchères organisée par Christie’s. Une vente historique puisqu’une bouteille de Bordeaux estampillée Château Lafitte de 1787 trouvera preneur contre la somme record de 156.000 dollars, soit un peu plus de 133.000 euros. L’heureux acheteur n’était autre que Malcolm Forbes, le célèbre éditeur et propriétaire du magazine portant son nom.

La fameuse bouteille avec une particularité: elle avait appartenu à l’ancien président des États-Unis Thomas Jefferson, l’homme qui a écrit la Déclaration d’indépendance américaine. Évidemment, une telle somme déboursée pour une bouteille de vin cela ne passe pas inaperçu et cela avait provoqué un joli scandale. Malcolm Forbes, lui, avait répliqué: « Acheter un morceau d’histoire coûte de l’argent. »

Sauf que, le problème, c’est que l’on est même pas sûr qu’il s’agisse d’un morceau d’histoire. En effet, il impossible de prouver que cette fameuse bouteille ait appartenu à l’ancien président américain. Selon les notes de l’ex-président, il aurait acheté la bouteille à l’époque où il était ambassadeur en France. On le connaissait amateur de vin mais impossible de prouver que la bouteille à 156.000 dollars lui appartenait. D’ailleurs la fondation Thomas Jefferson n’a jamais pu confirmer que la bouteille avait appartenu au président.

Hardy Rodenstock

Derrière ce mystère se trouve Hardy Rodenstock, un ancien manager de stars allemand reconverti en marchand de vin. En 1985, il dit posséder plusieurs vieilles bouteilles ayant appartenu à Thomas Jefferson. Cependant, il refuse de dire par quel intermédiaire il en a fait l’acquisition. Il se contente de dire qu’il les a trouvées derrière un mur dans une cave de Paris. Dans un lieu qu’il tient secret évidemment. Beaucoup ont alors exprimé leur scepticisme mais un des grandes pontes du vin, Micheal Broadbent qui est pourtant responsable de la distribution du diplôme des Maîtres des vins, y croyait dur comme fer. En 2002, il déclarait pour le New York Times: « Je reconnais certains vins à la première gorgée et même souvent avant de les goûter, quand ils coulent dans mon verre, au moment du nez. Je doute m’être jamais trompé sur un Mouton 1945 ou un Mas de Domaine Gassac 1982. »

Il a donc réussi à écouler trois bouteilles dont celle que Malcolm Forbes garde encore précieusement dans sa cave. Les autres se sont retrouvées dans les mains de milliardaires et industriels comme William Koch par exemple. Mais en 2005, Koch se rend compte que Thomas Jefferson notait précisément tous ses achats en vin et ces bouteilles n’apparaissaient nulle part. Il engage donc quelques enquêteurs pour en savoir plus. Il s’avère que les initiales inscrites sur les bouteilles sont toutes fausses et gravées à la machine.

Poursuite

Suite à ces découvertes, William Koch poursuit Rodenstock en justice. Mais dans cette affaire, un autre homme est impliqué: Michael Broadbent qui s’est longtemps porté garant de Hardy Rodenstock. Dans cette entreprise, il avait ignoré les avis sceptiques de la fondation de Thomas Jefferson. Quoiqu’il en soit, il était convaincu de l’authenticité des bouteilles et Benjamin Wallace, l’auteur du livre The Billionaire’s Vinegar qui revient sur cette affaire, est persuadé que Broadbent était sincère.

Le bougre espérait bien finir sa majestueuse carrière en vendant des bouteilles ayant appartenu à un président américain. Existe-t-il un meilleur jubilé pour un commissaire priseur spécialiste en vin? Lui explique qu’il s’est fait avoir en ayant été invité à de multiples reprises par Rodenstock à des dégustations et présentations de vins anciens. Broadbent rédigeait alors des notes sur les pinards qu’il avait dégustés. Le spécialiste n’aurait pas risqué de détruire sa réputation en mettant aux enchères de fausses bouteilles. Il s’est tout simplement fait avoir par un escroc qui, d’ailleurs, utilisait un nom d’emprunt. En effet, Hardy Rodenstock s’appelle en fait Meinhard Goerke.

Naïveté collective

Michael Broadbent n’est pas le seul à s’être fait avoir par ce fameux Hardy Rodenstock. Lors de ses fameuses dégustations, l’escroc a floué des dizaines de personnalités importantes du monde du vin comme Robert Parker, le spécialiste américain de vin reconnu dans le monde entier. Pourtant, des signes auraient du leur mettre la puce à l’oreille. Par exemple, Rodenstock insistait pour récupérer les bouteilles vides et refusait catégoriquement de montrer les bouchons à ses invités. C’est d’ailleurs extrêmement surprenant que de tels spécialistes n’aient rien vu venir.

En tout cas, Rodenstock était très fort dans ce qu’il faisait puisque Robert Parker avait attribué la note de 100 (la note maximale) pour un supposé Château Pétrus de 1921 en magnum. Encore une fois, Château Pétrus avait émis des doutes sur l’authenticité de la bouteille. Qu’importe: pour le spécialiste le vin était « merveilleux » et que s’il était faux, Rodenstock était sans doute le plus talentueux des faussaires. Cela prouve que les plus éminents critiques de vins ne sont pas infaillibles mais aussi que la fraude en vin est extrêmement difficile à déceler.

En effet, contrairement à l’art, le vin dispose de nombreux originaux et les plus vieux exemplaires sont rarement embouteillés et étiquetés de la même façon. Par exemple, les Petrus ont longtemps été vendus en tonneaux et les marchands les embouteillaient et les conditionnaient eux-mêmes. De plus, il est presqu’impossible de déterminer l’origine et la provenance d’une bouteille puisque la documentation à ce sujet est quasiment inexistante. De plus, un même vin peut évoluer différemment en fonction de sa bouteille et son évaluation est fondamentalement subjective. Or pour les vins qui concernent cette affaire, très peu de personnes les avaient goûtés auparavant. Donc, difficile d’avoir deux avis pour les confronter.

La fin de l’histoire?

Au final, comment s’est terminée cette histoire? Koch a fait le maximum pour trainer Rodenstock devant un juge mais celui-ci a systématique refusé de participer au procès en expliquant qu’en tant qu’Allemand, la justice américaine n’avait aucun pouvoir sur lui. Rodenstock a donc été jugé par défaut. Finalement, il s’en sortira indemne, sans débourser le moindre euro. Finalement, on ne connaitra jamais vraiment le fin de mot de cette affaire puisqu’en mai 2018, le fameux Hardy Rodenstock a rendu son dernier souffle.

Quoi qu’il en soit, Benjain Wallace est longuement revenu sur cette affaire dans son livre The Billionaire’s Vinegar et quelques passages sont assez frappants. L’auteur explique que des analyses ont été effectués sur des vins vendus par Rodenstock. Ils dataient en fait des années 60, on est bien loin de vin datant du 19ème siècle comme le prétendu faussaire l’affirmait. Le principal intéressé a toujours refusé de s’exprimer à ce sujet et il n’est plus en état de le faire désormais. Ce mystère en restera un à jamais et des centaines de bouteilles de vins frauduleuses resteront à jamais une énigme pour les amateurs de vin.

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