“L’Europe n’est pas à la table des négociations, car l’Europe est au menu”

L’Italie et la France s’accusent mutuellement de l’échec des négociations de fusion entre le groupe Fiat Chrysler Automobiles (FCA) et le groupe Renault. L’éventualité d’une telle fusion était bien accueillie par le monde des affaires. Soudain, le plus grand constructeur automobile du monde aurait émergé en Europe. Mais jeudi, on a appris que les Italiens avaient retiré leur offre. La raison ? Le ministre français de l’Economie, Bruno Le Maire, voulait jouer cavalier seul

La France se précipite au secours de son ministre et ne comprend pas en quoi un délai de quelques jours avant de prendre position pouvait poser problème. Car Le Maire (notre photo) voulait d’abord consulter son partenaire Renault Nissan le week-end prochain au Japon, pour s’assurer de son soutien au projet avant de prendre une décision. De plus, les Français se sentaient pressés par les Italiens parce que la proposition était à prendre ou à laisser. « Nous avons clairement indiqué que nous ne nous soumettrions pas à la pression et au timing de Fiat », indique le gouvernement français.

Le désaccord italo-français empêche une fois de plus la naissance d’un acteur mondial, ce qui aurait entraîné un revirement spectaculaire de l’histoire. En effet, si les partenaires de Renault, Nissan et Mitsubishi, avaient participé à la construction, nous aurions assisté à la création du plus grand groupe automobile du monde. Cette combinaison aurait représenté 15 millions de voitures par an. À titre de comparaison: Volkswagen et Toyota ont produit environ 10 millions de voitures chacun en 2018.

Europe: où sont les acteurs mondiaux ?

Or, l’UE a clairement besoin d’acteurs européens armés pour participer au niveau mondial. À une époque où l’industrie automobile est confrontée à d’énormes défis, alors que la transition vers les véhicules électriques et autonomes a été amorcée. Et contrairement à d’autres secteurs importants de l’économie, tels que la technologie et la finance, où les acteurs européens opèrent souvent de manière marginale.

Les acteurs européens de stature mondiale deviennent de plus en plus rares. En 2016, The Economist a calculé que sur les 50 plus grandes entreprises du monde en 2006, on en recensait encore 17 européennes. 10 ans plus tard, elles n’étaient plus que 7.

‘Winner takes all’ & ‘bigger is better’

Entre-temps, le capitalisme a évolué pour devenir un modèle du type ‘winner takes all/bigger is better’ (‘le gagnant rafle tout’/le plus gros est le mieux‘). Les économies américaine et européenne ont à peu près la même taille. Mais les 500 plus grandes entreprises européennes sont 2 fois moins bien valorisées que les 500 plus grandes entreprises américaines. Et… elles réalisent 60 % de bénéfices en moins selon les mêmes calculs.

Ces bénéfices sont cruciaux. La possible fusion de Renault-Nissan et de Fiat-Chrysler était sans aucun doute motivée par les énormes investissements nécessaires pour passer des moteurs thermiques aux moteurs électriques ainsi que pour développer les véhicules autonomes.

Au début de cette année, la société d’ingénierie Alix Partners a calculé que les constructeurs automobiles devront payer plus de 225 milliards d’euros au cours des huit prochaines années pour concrétiser cette transition. Au cours des huit dernières années, 20 milliards d’euros ont déjà été investis dans ce processus. Ou encore : 225 milliards, cela correspond à 66 fois le bénéfice que le groupe Renault-Nissan a pu présenter en 2018. Des chiffres colossaux, donc. Ils ne font que confirmer que sans consolidation, les entreprises européennes ne seront pas à la hauteur des géants existants. Ni contre des acteurs émergents tels que Uber, Apple, Tesla et autres.

Il serait très difficile de le résumer mieux que le chirurgien français Laurent Alexandre l’a fait dans un article d’opinion cette semaine : « L’Europe n’est plus invitée à la table des négociations, car l’Europe est au menu », a-t-il écrit.

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