Que reste-t-il d’authentique sur Internet?

Quelle proportion de l’Internet n’est pas truquée ? Selon les études qui se succèdent à ce sujet, moins de 60 % du trafic sur la toile serait humain. Le différentiel de plus de 40 % proviendrait donc de bots, autrement dit, il serait totalement artificiel. 

Ces bots sont des programmes qui imitent les actions humaines pour simuler l’intérêt et l’engagement des internautes, et donner ainsi l’illusion à des firmes et/ou des internautes que des contenus particuliers recueillent une certaine popularité. Ces faux internautes, agissant souvent sous le couvert de faux profils sur les réseaux sociaux, simulent le visionnage de vidéos, ou cliquent sur des « likes », par exemple, pour simuler un intérêt pour un produit, un service, ou une vidéo afin de donner un sentiment de popularité, ou de générer des recettes publicitaires.

Les bots sur YouTube

Or, il s’avère qu’il s’agit d’une pratique assez répandue, en particulier sur les grandes plateformes de l’internet telles que YouTube. Dans le courant de l’année 2013, la moitié du trafic de la plateforme de contenus vidéos appartenant à Google provenait déjà de bots se faisant passer pour des internautes. Le problème était si important que les employés de la firme avaient même créé le concept de « l’Inversion », correspondant au moment à partir duquel le trafic de la plateforme serait majoritairement artificiel. 

La plateforme prétend encore que les bots ne représentent « qu’une fraction minuscule » de son trafic…  mais elle a tout de même commencé une campagne d’élimination des « comptes de spam » à la mi-décembre, ce qui implique que le problème est bien plus sérieux qu’elle ne le laisse entendre.

5000 visionnages pour 15 dollars

En août, une enquête du New York Times avait révélé qu’il était possible d’obtenir 5000 faux visionnages de vidéos – sachant que ceux-ci sont pris en compte dès lors qu’ils durent 30 secondes – pour 15 dollars (environ 13 euros). Pire, les entreprises qui achètent ce type de service croient souvent que les visionnages sont effectués par des humains en chair et en os, alors que dans la plupart de cas, ce sont des bots, des algorithmes, qui effectuent cette tâche.

On trouve désormais des « fermes à clic », dans lesquelles des centaines de smartphones alignés sur des étagères lancent les mêmes vidéos ou téléchargent les mêmes applications simultanément pour générer des faux visionnages ou des faux téléchargements.

De faux figurants, grâce aux Deepfakes

Les vidéos aussi peuvent être factices, et ce, grâce aux deepfakes, une technologie d’intelligence artificielle qui permet de manipuler des enregistrements audio et vidéo pour simuler l’intervention de personnes particulières (célèbres ou non) dans ces vidéos, afin de faire croire qu’elles ont réellement figuré dans les enregistrements ainsi truqués. 

Cette technologie est déjà utilisée dans l’industrie du porno, et les producteurs de films et de vidéos pornographiques utilisent ainsi l’intelligence artificielle pour remplacer les visages des acteur de films porno par ceux de célébrités. Une application propose à l’homme de la rue de faire de même.

Une étude publiée récemment par des chercheurs de Nvidia, la firme productrice de cartes graphiques, a récemment présenté une technique similaire pour créer des images de visages «humains» générés par ordinateur qui ressemblent de manière frappante à des photographies de personnes réelles.

De faux « suiveurs »

De nos jours, les personnalités artistiques, politiques ou du monde des affaires influentes se doivent de compter de très nombreux adeptes sur les réseaux sociaux, comme preuve de leur popularité. 

« Plus de 95 000 suiveurs sur Twitter », écrit Theo Francken dans un tweet. Mais selon la firme d’analyse Twitteraudit, il s’agirait en fait de 47 990 véritables suiveurs, et de 46.478 faux-comptes. 

Pour Charles Michel, le nombre de faux suiveurs dépasse même celui des sympathisants authentiques…

Les fausses statistiques de Facebook

Le plus gros réseau social du monde n’échappe pas à la création de faux-comptes, et aux faux-visionnages de vidéos.

Mais le média social est lui aussi accusé de truquer ses statistiques et de fournir des chiffres très exagérés à ses clients annonceurs pour leur extorquer des recettes publicitaires supplémentaires. En octobre, un groupe d’annonceurs l’a accusé d’avoir sciemment surestimé la durée moyenne pendant lesquelles ses utilisateurs regardaient leurs contenus vidéo, afin de les inciter à en publier encore davantage. En effet, Facebook leur rendait compte du succès de leurs vidéos publicitaires par des indicateurs tels que le pourcentage moyen de vidéos regardées, lequel était souvent proche de 100 %.

Mais en 2016, une enquête du Wall Street Journal avait conclu que ce chiffre était couramment surestimé de 60 à 80 %, du fait que Facebook comptait que les clips qui avaient été regardés au-delà des 3 premières secondes, ignorant la grande masse de ceux que les utilisateurs avaient désactivés dès leur lancement. 

Dans un dépôt de plainte, les annonceurs estime que Facebook a surestimé son indicateur de 150 à 900 %, et que la firme a délibérément attendu plus d’une année avant d’admettre cette irrégularité.

Les faux commentaires sur Amazon ou Reddit

Sur les plateformes telles qu’Amazon ou TripAdvisor, il est fréquent que des entreprises payent des « utilisateurs » factices pour qu’ils postent des commentaires flatteurs à propos des services ou des produits qu’elles vendent.

L’obtention des 5 étoiles est devenue si cruciale sur Amazon que les annonceurs sont prêts à payer des millers de faux clients pour qu’ils rédigent des commentaires positifs à propos de leur produit… ou des critiques impitoyables à l’égard de ceux de la concurrence. Ces faux commentaires portent préjudice aux entreprises honnêtes, et abusent les utilisateurs du site qui fondent leurs décisions d’achat dessus. Le site de Jeff Bezos tente de lutter contre ce fléau, mais les mesures qui ont été prises n’ont jamais réussi à l’endiguer.

On retrouve aussi ce phénomène sur le réseau social très populaire aux Etats-Unis, Reddit. Des professionnels dotés d’agences dans le monde entier offrent désormais un véritable service spécialisé de «gestion de réputation » en postant des faux commentaires sur ce site. En mars 2017, Jay McGregor de Forbes avait montré comment il avait payé 200 dollars pour promouvoir 2 « fake news » à propos du Brexit sur cette plateforme. 

Des faux influenceurs

Mais il n’y a pas que le contenu qui peut être faux, les utilisateurs, ou leur qualité peut aussi l’être. Sur Instagram, un réseau social qui appartient à Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, il n’est plus rare de trouver de « faux influenceurs »,  c’est à dire qui prétendent avoir obtenu le parrainage de sponsors prestigieux (lesquels ignorent souvent qu’ils ont été invoqués) pour paraître plus influents et plus populaires qu’ils ne le sont en réalité. « Les gens prétendent avoir ces accords avec les marques pour sembler branchés. Cela revient à dire +je l’ai eu gratuitement, alors que vous autres ratés devez payer pour avoir la même chose+ », explique Allie, une influenceuse américaine qui a elle aussi recours à ce subterfuge, dans The Atlantic.

Tous espèrent la même chose : décrocher un véritable contrat avec ces marques. Mais pour celles-ci, cette pratique peut être un cauchemar : elles se retrouvent avec une masse de faux influenceurs parfois peu qualifiés pour effectuer ce travail, qui présentent leurs produits sous un jour défavorable sans qu’ils aient le moindre contrôle sur ces communications. Sans parler de la possibilité de signer un contrat avec un influenceur dont la popularité apparente est totalement factice. 

Enfin, on peut aussi évoquer les influenceurs virtuels, tels que Lil Miquela, une créature de synthèse qui est active sur Instagram, et qui est l’oeuvre de Brud, une start-up californienne spécialisée dans la robotique et l’intelligence artificielle. Brud est également la conceptrice de deux autres vedettes numériques d’Instagram, Blawko22 and BermudaisBae, et a conclu des partenariats avec des marques telles que Nike, Diesel ou Prada.

La marque de luxe Louis Vuitton a elle aussi adopté les ambassadeurs digitaux, avec Lightning, l’héroïne du jeu video japonais Final Fantasy

Conclusion

Le New-Yorker se montre assez pessimiste quant à la possibilité d’une inversion de ces tendances, et lance donc un cri d’alarme : « Des années de croissance orientées  par des statistiques, des systèmes de manipulation lucratifs et des places de marchés non réglementées ont créé un environnement dans lequel il est plus judicieux d’être faux en ligne, d’être mensonger et cynique, de mentir et de tromper, de dénaturer et de déformer, qu’il ne l’est d’être authentique. Pour y remédier, il faudrait des réformes culturelles et politiques à la Silicon Valley et dans le monde entier, mais c’est notre seul choix. Sinon, nous allons tous nous retrouver sur un internet de bots, de fausses personnes, de faux clics, de faux sites et de faux ordinateurs, où la seule chose authentique qui subsistera, seront les annonces. »

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