Crise des opioïdes aux USA : la firme pharmaceutique Purdue envisage sa mise en faillite

Purdue Pharma, la firme pharmaceutique qui produit l’OxyContin, un opioïde accusé d’avoir rendu toxicomanes des centaines de milliers d’Américains, étudierait actuellement une possible mise en faillite pour stopper près de 2000 poursuites judiciaires qui ont été engagées contre elle.

Aux Etats-Unis, il n’est pas rare qu’une entreprise confrontée à des poursuites judiciaires qu’elle juge menaçantes se place sous la protection du tribunal de faillite. Récemment, la firme d’électricité californienne PG & E, dont les infrastructures sont accusées d’avoir déclenché 17 incendies qui ont ravagé la Californie et tué 86 personnes en 2017, a elle-même adopté cette stratégie. En effet, elle risque d’être condamnée à payer plus de 30 milliards de dollars de dommages et intérêts si elle est effectivement reconnue coupable.

Geler les quelque 2000 plaintes lancées contre Purdue

Le chapitre 11 permettrait à Purdue de geler les poursuites et lui donnerait la possibilité d’engager des négociations pour obtenir des réglements amiables avec les plaignants sous la supervision d’un juge des faillites.

Ces derniers accusent la firme d’avoir employé des méthodes de commercialisation agressives pour son médicament, y compris en employant la tromperie pour minimiser son effet addictif, et d’avoir ainsi largement contribué à la crise des opioïdes à laquelle les Etats-Unis sont confrontés.

Les États-Unis sont en effet confrontés à un problème de drogue colossal, et sans aucun autre équivalent dans le monde. En 2017, les opioïdes (y compris les analgésiques sur ordonnance comme l’OxyContin) ont été impliqués dans 47 600 décès par overdose. Depuis 1999, ce nombre a été multiplié par 6. Entre 1999 et 2017, plus de 700 000 personnes sont mortes d’overdose aux États-Unis.

Une banalisation inquiétante de l’addiction aux opioïdes

Une enquête menée par la Réserve fédérale sur les 5 dernières années a révélé la banalisation des addictions. Désormais, un adulte américain sur 5 connaît personnellement une personne qui a développé une dépendance aux opioïdes ou aux analgésiques sur ordonnance. Une autre étude, menée par l’Associated Press et le NORC Center for Public Affairs Research, conclut que plus d’un Américain sur 10 a rapporté avoir un parent ou un ami proche décédé d’une overdose.

La forte hausse de la mortalité liée à la consommation d’opioïdes est aussi la cause probable de la baisse de l’espérance de vie américaine, qui a dû encore baisser en 2017 pour la 3e année consécutive (elle était de 78,6 ans en 2016).

La cause la plus fréquemment mise en avant est la prescription abusive d’anti-douleurs à base d’opiacés, et en particulier l’OxyContin. Le principe actif de ce médicament, un opiacé de synthèse appelé oxycodone, avait été développé à l’origine pour soulager les malades du cancer en phase terminale, ou les personnes ayant subi de grosses interventions chirurgicales. Et pour cause : sa formulation le rapproche de l’héroïne, et il est jusqu’à deux fois plus puissant que la morphine.

Purdue a développé une version à diffusion lente de ce produit, qui allait devenir l’OxyContin, et l’a proposée pour soulager les douleurs chroniques.

Une campagne de commercialisation agressive

En 1995, la commercialisation de l’OxyContin s’est accompagnée d’une vaste campagne marketing pour présenter le produit aux médecins américains. Ces derniers ont été démarchés par des centaines de “visiteurs médicaux”. De même, une quarantaine de “symposiums” ont été offerts dans les stations balnéaires américaines les plus réputées pour vanter les “vertus” du médicament et convaincre les docteurs, infirmières et pharmaciens participants que la douleur était un véritable problème médical.

Ces derniers, ignorants de son potentiel addictif (les risques de dépendance avaient été minimisés pendant les présentations), ont donc prescrit l’OxyContin à tour de bras, d’autant qu’on leur fournissait des coupons “d’essai gratuit pendant 30 jours” à remettre aux patients… Entre 1996 et 2002, les prescriptions d’OxyContin ont explosé, passant de 670 000 par à an à plus de 6 millions.

Purdue nie les allégations de tromperie

L’an dernier, le président Trump a menacé de poursuivre les compagnies pharmaceutiques pour leur rôle dans la crise des opioïdes. Il a également décrété que cette crise était une urgence sanitaire nationale en octobre 2017.
Même si la crise actuelle des opioïdes est fortement centrée sur l’abus d’héroïne et de fentanyl, elle trouve son origine dans une épidémie de dépendance à des anti-douleurs à base d’opioïdes dûment prescrits par ordonnance de médecins.

Pour sa part, Purdue nie ces allégations, faisant valoir que l’autorité sanitaire américaine FDA a dûment approuvé ses médicaments opioïdes, et que les emballages de ceux-ci comportent de nombreux avertissements sur les risques encourus en cas d’abus.

Outre des particuliers, plus de 1 500 villes, États et administrations locales ont engagé des poursuites contre elle. Les dépôts de plainte ont été regroupés au sein d’une cour fédérale de l’Ohio. Ces plaintes ne sont pas sans rappeler celles qui avaient été lancées en masse contre l’industrie du tabac en 1998, et qui avaient abouti à un règlement de 246 milliards de dollars.

Purdue a été fondée dans les années 1950 par la famille Sackler. En juin dernier, le Massachusetts a intenté une poursuite en justice contre les Sackler et Purdue pour les mêmes raisons.

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