Play it again, Sam! Pourquoi nous voulons chaque fois entendre à nouveau la même chanson

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La seule définition universelle correcte de la musique est quelque chose comme « je la reconnais quand je l’entends » ou, mieux encore, « je la reconnais quand je l’entends à nouveau ». Selon Elisabeth Hellmuth Margulis, auteur, pianiste de concert et directrice du labo de cognition de la musique à l’Université d’Arkansas, la répétition joue un rôle crucial, presque magique, dans notre compréhension de la musique.

Dans les années 60, le psychologue Robert Zajonc a décrit dans ses travaux l’ « Effet de simple exposition » (« Mere-exposure effect »), un phénomène qui veut que nous nous sentions plus attirés par des choses que nous connaissons. Un contact (conscient ou inconscient) avec une information visuelle ou auditive nous fait mieux apprécier cette information et nous laisse une impression de qualité supérieure.

L’« Effet de simple exposition » n’est de loin pas la seule raison pour laquelle la répétition est si importante dans le monde de la musique. Partout dans le monde, les cultures créent de la musique répétitive et chaque hit à la radio (qui lui-même a déjà été répété plusieurs fois) contient un certain nombre de répétitions. Quand nous écoutons de la musique, nous entendons 90% du temps des passages que nous connaissons déjà, dit le musicologue David Huron.

La psychologue Diana Deutsch de l’Université de Californie a récemment découvert que même du matériel non-musical peut éveiller l’illusion de la musicalité grâce à la répétition. Expérimentez vous-même cet effet remarquable en écoutant à la suite l’un de l’autre les 2 courts passages suivants:

Les mots répétés dans le deuxième extrait sont perçus presque comme le début d’une chanson. L’illusion de « chanson parlée » illustre le fait que notre perception du bruit peut être transformée par la répétition en une expérience quasi musicale. Quand nous écoutons de la musique, le centre de notre attention se déplace de la signification sous-jacente vers des modèles en hauteur de ton et en rythme.

Mais il y a aussi l’élément de participation. Tous les individus (ou presque tous) sont capables de « ressentir » un rythme agréable. La musique n’est donc pas seulement une expérience passive, mais il ‘s’agit également d’une expérience à laquelle on participe activement. Cela peut se passer de manière explicite comme quand nous sommes sur une piste de danse ou plus subtilement dans nos pensées. Ecoutez par exemple une nouvelle fois le passage audio ci-dessus et arrêtez après les mots « sometimes behave ». Que vous le vouliez ou non, vous penserez automatiquement à la suite « so strangely ».

La répétition est donc cruciale pour l’aspect participatif de la musique. En attestent de nombreux exemples possibles tels que le chant liturgique « Voici l’Agneau de Dieu, qui enlève les péchés du monde » et ensuite les participations communes pendant les célébrations catholiques de l’eucharistie ainsi que la manière dont nous aimons chanter ensemble à tue-tête certaines morceaux.

La musique sans répétition est possible et des compositeurs modernes comme Luciano Berio et Elliott Carter l’ont expérimentée au siècle dernier. D’une enquête lors de laquelle on a fait entendre à des étudiants leurs morceaux d’une part et d’autre part des compositions digitales où des passages sont répétés de manière arbitraire, il est apparu que les compositions étaient largement perçues comme « plus agréables », « plus intéressantes » et « plus humaines » que les chefs d’œuvre originaux.

Pour une autre expérience, on a créé des séquences arbitraires de notes et on les a fait entendre aux participants parfois une seule fois et parfois en boucle. De la même façon que ça s’est passé pour l’illusion de la « chanson parlée », il est apparu que les passages répétés étaient de nouveau perçus comme plus musicaux.

La répétition nous fait donc éprouver tout d’une manière différente. Cela explique, selon les anthropologues la force d’attraction des rituels. Des rites comme le nettoyage cérémonial d’une marmite déplace l’attention du but pratique de l’action vers l’action elle-même et fait que les spectateurs se représentent l’action mentalement. Il y a donc beaucoup de similitudes entre les rites et la répétition musicale.

Même des répétitions involontaires peuvent avoir une force. Si vous voyez quelque part « What’s love? », vous pensez peut-être immédiatement « Baby, don’t hurt me ». L’effet est si fort que de nombreuses personnes apprennent des choses par cœur en les associant à une mélodie ou à un rythme et en les répétant ensuite. L’explication neurologique est que l’activité augmente dans la partie émotionnelle du cerveau quand nous écoutons des passages musicaux connus– que nous les trouvions agréables ou non.

Margulis en conclut: « Après une répétition, une suite de sons apparaît moins comme la présentation d’un contenu et (…) cela est ressenti comme une chose que vous faites au lieu d’une chose que vous percevez. (…) Que la répétition apparaisse dans la musique du monde entier n’est pas un hasard. La répétition en musique n’est pas le signe d’un manque de raffinement (…) mais un élément crucial de la magie de la musique. La répétition crée la musicalité. Elle creuse un sentier familier dans nos pensées et nous met en état d’anticiper les sons et même d’y participer ». (Aeon.co)

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