Les Vengeurs juifs, ou comment l’Allemagne a échappé à un massacre

Récemment, des chercheurs se sont rendus compte que l’ampleur de l’holocauste avait été sous-estimée. Alors qu’on pensait qu’il n’y avait eu qu’environ 7.000 camps nazis et ghettos, il y en aurait eu en réalité près de 42.500. Entre 15 et 20 millions de personnes, majoritairement Juives, sont mortes dans ces camps et ghettos.

Cependant, un aspect de l’holocauste reste encore largement méconnu : celui de l’impunité quasi-totale dont ont bénéficié les tortionnaires nazis qui ont perpétré ces crimes. Les chiffres sont choquants : alors que des centaines de milliers d’Allemands ont participé au génocide des Juifs, seulement 3,5 millions d’entre eux ont été inculpés, et parmi eux, 2,5 millions furent relâchés sans être jugés. Le million restant a été condamné à des peines qui excédaient rarement une amende ou la confiscation des biens qu’ils avaient pillés, assortie parfois d’une interdiction d’embauche temporaire dans l’administration. En 1949, seulement 4 ans après la fin de la Guerre, on ne comptait plus que 300 Nazis incarcérés. Quant aux procès de Nuremberg, ils n’ont concerné que 24 hauts gradés nazis.

Pourtant, rien qu’en Allemagne de l’Ouest, les Alliés avaient identifié 13,2 millions d’hommes qui avaient fait partie de l’appareil nazi.

Pourquoi les Alliés ont-ils renoncé à poursuivre ces criminels en justice ? « Parce que cela aurait été une tâche interminable », affirme David Cesarani, professeur de recherche à Royal Holloway, de l’Université de Londres, qui est un spécialiste de l’holocauste. Il aurait fallu juger des centaines de milliers de personnes, et cela aurait pu aboutir à l’incarcération de presque la totalité des hommes allemands. Les Américains étaient également soucieux d’inclure l’Allemagne de l’Ouest dans une nouvelle alliance appelée à contrer le bloc soviétique.

Mais un groupe de survivants des camps de concentration et des ghettos qui en avaient connu les horreurs, et qui y avaient perdu des pans entiers de leur famille, n’ont pas accepté ce défaitisme. Selon certains, le groupe, appelé Noknim, le mot hébreux pour « Vengeurs », se serait formé lors d’un rassemblement de survivants à l’occasion de la Pâque juive, à l’initiative d’Abba Kovner, un survivant de l’insurrection juive du ghetto de Vilnius. Ils ont décidé de faire justice eux-mêmes.

Le groupe a débuté en poursuivant des individus qu’il avait identifiés comme étant des Nazis. Les cibles étaient ensuite exécutées, et la plupart du temps, ces règlements de compte étaient maquillés en suicides. Beaucoup furent pendus dans leur garage. Certains furent retrouvés dans des fossés sur le bord de la route, dans ce qui semblait être des accidents de la circulation dont l’auteur s’était enfui. D’autres moururent dans des accidents de voiture, victimes de mystérieuses pannes mécaniques. Un ancien officier de la Gestapo qui devait subir une intervention mineure à l’hôpital a été retrouvé mort. Ses analyses sanguines ont révélé qu’il avait du kérosène dans le sang. Des douzaines de Nazis ont été ainsi liquidés par les Vengeurs.

Pour accomplir leurs sentences, les membres du Noknim pouvaient se déplacer à l’étranger. Ils ont poursuivi leurs victimes en Espagne, en Amérique Latine, au Canada, dans tous les endroits où les bourreaux nazis s’étaient réfugiés. L’un d’entre eux, Alexander Laak, responsable de la mort de 100.000 Juifs dans le camp estonien de Jägala, avait trouvé refuge dans la banlieue de Winnipeg, au Canada. Le groupe a attendu que sa femme sorte au cinéma un soir, le laissant seul à son domicile. Ils lui ont rappelé ses crimes, et l’ont forcé à se pendre.

Mais Noknim a aussi envisagé des projets de plus grande envergure. La plus grande opération est celle du Stalag 13, menée en avril 1946. Le groupe a réussi à infiltrer l’un des siens, qui a empoisonné à l’arsenic les miches de pain qui étaient servies à près de 1.900 prisonniers SS. Selon certaines sources, près d’un millier de ces hommes auraient été tués.

Mais ceci n’était que le plan B qui avait succédé à un plan A d’une bien plus vaste échelle. Noknim avait en effet envisagé d’empoisonner l’approvisionnement en eau de 5 villes allemandes, Munich, Berlin, Weimar, Nuremberg et Hambourg, tuant ainsi indistinctement de grandes parties de la population de ces villes. Kovner s’était rendu en Palestine pour se faire soutenir dans ce projet, et il y avait rencontré celui qui allait devenir le premier président de l’Etat d’Israël, qui avait aussi été chimiste: Chaim Weizmann. Kovner a quitté la Palestine avec deux bidons de poison dans son sac à dos, mais il s’est fait arrêter par la police britannique sur le bateau qui devait le ramener en Europe, et il a dû se débarrasser du poison en mer. Les Vengeurs ont pensé que des officiels sionistes les avaient dénoncés, parce qu’ils craignaient que leur plan de meurtre collectif ne sape leur projet d’obtention d’un territoire pour les Juifs.

Kovner est mort en 1987. Il avait espéré se faire un nom dans l’Histoire comme l’un des grands défenseurs des Juifs. « Il voulait que 2000 ans plus tard, les gens parlent de Judah Maccabee et d’Abba Kovner ». (photo: Holocaust Research Project)

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