L’économie des petits boulots aurait-elle fait pschitt ?

La « gig economy », ou « économie des petits boulots » a souvent été présentée comme une lame de fond qui allait révolutionner nos marchés du travail. On pensait que les emplois classiques salariés allaient disparaître, et que le statut de freelance s’imposerait comme la nouvelle norme. Mais cela ne s’est pas produit.

C’est ce qui ressort des chiffres publiés récemment par  le Bureau of Labor Statistics des États-Unis (BLS). Ils révèlent qu’aux États-Unis, la part de personnes occupant  des emplois « alternatifs », qui donnent une mesure de l’économie des petits boulots, tend à diminuer, plutôt qu’à croître. Ces emplois alternatifs regroupent les personnes qui ne sont pas employées dans le cadre d’une relation de travail traditionnelle. Elle englobe les entrepreneurs indépendants – des chauffeurs pour Uber, aux rédacteurs  freelance – et les travailleurs temporaires.

La baisse des « travailleurs alternatifs »

Remarquablement, la part des Américains travaillant sous ces formes a légèrement chuté entre 2005 et 2017, passant de 10,9% à 10,1%. En décembre 2016, Lawrence Katz de Harvard et Alan Krueger, des économistes éminents respectivement de Harvard et de Princeton, avaient estimé que ces  travailleurs représentaient 15,8% de la main d’œuvre américaine, et qu’ils comptaient pour la quasi totalité des créations d’emplois aux États-Unis depuis 2005.

C’est le travail sous contrat indépendant qui a connu le plus fort déclin, passant de 7,4% des travailleurs en 2005 à 6,9% en 2017. En revanche, la proportion d’intérimaires est demeurée stable à la même époque.

La « gig economy a fait pschitt

Les résultats ont dérouté les économistes et les analystes, qui s’attendaient à ce que les chiffres du BLS confirment la progression de l’économie des petits boulots. Dans son rapport “Internet Trends” publié la semaine dernière, Mary Meeker, la célèbre analyste des tendances de l’internet, prédisait encore que cette “gig economy” concernerait 7 millions de personnes d’ici la fin de l’année, gagnant 26% par rapport à 2017. D’autres études ont évalué à plus de 30 % la proportion des Américains qui travaillent en freelance, et estiment que la part grimpe à 50 % pour la génération des millenials. Le mois dernier, Uber, l’une des firmes emblématiques de cette “économie des petits boulots” a annoncé qu’elle faisait travailler une armée de 900 000 chauffeurs aux États-Unis.

Même si certains secteurs ont connu une évolution, comme celui des transports, le boom de la “gig economy” semble donc avoir fait pschitt, et la révolution annoncée du travail n’a pas eu lieu. Que s’est-il passé?

Les statistiques n’évaluent pas bien les nouvelles formes d’emploi

Il est possible que les statistiques américaines sous-estiment l’ampleur de la gig economy. Par exemple, elles ne prennent pas en compte les emplois complémentaires que certains travailleurs sont obligés de prendre pour joindre les deux bouts. Elles négligent également d’inclure certaines activités génératrices de revenus, telles que la location d’une chambre libre sur Airbnb.

De même, elles ne mettent pas en exergue le plus fort recours au travail  intérimaire des entreprises américaines pour des tâches comme le nettoyage ou la programmation informatique. Or, non seulement ces travailleurs temporaires perçoivent des salaires moindres et des avantages sociaux plus réduits, mais de plus, ils n’ont pas les possibilités d’avancement offertes aux employés classiques.  

La réalité, c’est que ce secteur de l’économie des petits boulots est si hétérogène, qu’il est quasiment impossible de la quantifier selon les méthodes traditionnelles. Il y a peu de rapport entre les personnes qui vendent de l’artisanat sur Etsy pendant leur temps libre, les chauffeurs de Lyft ou d’Uber, et certains freelances très bien rémunérés.

Près de 60 millions d’Américains ont « un petit boulot à côté »

Or, le nombre d’Américains ayant un “petit boulot à côté” est très importante ; un sondage récent l’avait évalué à 57,3 millions. Il est peut-être temps que les statisticiens du gouvernement “commencent à poser des questions différentes”, estime Ruth Reader de Fast Company. Les chiffres révèlent que la majorité des 10,6 millions d’entrepreneurs indépendants sont des hommes, et qu’un tiers a plus de 55 ans. Cela suggère qu’une partie des baby-boomers cumulent les emplois pour compléter leurs revenus, ou qu’ils apprécient la flexibilité de ces formes d’emplois.

Or, alors que 79 % des entrepreneurs indépendants rapportent se satisfaire de leur forme d’emploi, 55 % des 5,9 millions de travailleurs temporaires préféreraient avoir un emploi permanent.  Pour Lydia DePillis de CNN, c’est tout simplement l’actuel plein-emploi aux États-Unis qui pourrait expliquer la retombée du soufflé de la “gig economy”. A la fin du mois d’avril, on a recensé 6,7 millions d’offres d’emploi non pourvues aux Etats-Unis, contre 6,35 millions de chômeurs. Le nombre de postes à pourvoir dépasse donc celui du nombre de demandeurs d’emplois. “Compte tenu du nombre d’offres d’emplois classiques non pourvues de nos jours, il n’est plus nécessaire d’accepter un emploi s’il ne rapporte pas un salaire conséquent”, écrit-elle.

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