Le régime égyptien participe à la réalisation de feuilletons de télévision

En Égypte, les mini-séries télévisées à gros budget jouissent d’une énorme popularité. Désormais, le président égyptien Abdel Fattah el-Sisi cherche également à étendre sa main de fer sur les feuilletons de télévision, écrit Declan Walsh dans le New York Times.

« Le président égyptien a muselé la politique, épouvanté les médias et emprisonné une légion d’opposants. Il cherche maintenant à élargir sa répression sur un nouveau domaine de la société : les feuilletons dont la population raffole. »

Ramadan

Les feuilletons « soap » sont très populaires en Egypte. Chaque année, pendant le mois de Ramadan, les Égyptiens se pressent autour de leur téléviseur pour visionner des mini-séries à gros budget mettant en vedette les acteurs les plus célèbres du pays. Les meilleurs séries sont exportées partout au Moyen-Orient. Toutefois, cette période semble toucher à sa fin.

Les émissions en cours de production pour le Ramadan sont soumises à des contrôles strictes. Selon les réalisateurs et les acteurs, les responsables d’El-Sisi dictent les scénarios et fixent les salaires. Une société de production liée à l’armée a repris la gestion des plus grandes séries. Les cinéastes ont été sommés de baser leurs histoires sur les thèmes approuvés. Les productions qui ne respectent pas les règles ne passent tout simplement pas à l’écran.

« La répression des feuilletons est le fer de lance culturel de l’autoritarisme intrusif de grande envergure qui s’est enraciné en Égypte sous Sisi », explique Walsh. « Cette répression a atteint des nouveaux sommets dans un pays qui est gouverné depuis des décennies par des hommes forts soutenus par l’armée. Hosni Moubarak qui a gouverné l’Égypte pendant trente ans jusqu’à sa destitution lors du Printemps arabe en 2011, a également mis en place un système oppressif et cruel. »

Toutefois, Moubarak a laissé de la place à d’autres centres de pouvoir. Les journaux pouvaient le critiquer jusqu’à un certain point. Mais cet espace limité a pratiquement disparu lorsqu’Abdel Fattah El-Sisi a pris le pouvoir en 2013.

Sisi gouverne le pays par le biais d’une petite clique de conseillers, principalement issus de l’armée, de forces de sécurité et de sa famille. L’armée a également repris tous les grands projets de construction. Les tribunaux militaires fonctionnent avec un minimum de contrôle public et poursuivent les acteurs, les opposants politiques ainsi que les suspects de terrorisme.

Sisi veut aussi gouverner le domaine culturel d’une main de fer . Les talk-shows à la télévision égyptienne étaient autrefois des lieux où se tenaient des débats houleux. Désormais, ces émissions sont devenues pro-gouvernementales et les Égyptiens les évitent. Les acteurs et auteurs populaires sont souvent accusés de trahison.

Principes positifs

El-Sisi a abordé ces sujets pour la première fois en 2017 dans un discours dans lequel il a loué les principes positifs des anciennes émissions de télévision produites par l’État. Au cours des années suivantes, des représentants de l’Etat ont commencé à faire pression sur les cinéastes via la censure.

Durant cette période, l’ingérence étatique a provoqué une crise de l’industrie du cinéma. A l’heure actuelle, seuls douze à quinze feuilletons sont en cours de préparation pour le Ramadan, soit une diminution de moitié par rapport aux années précédentes.

Egyptian Media Group, une société liée aux services de sécurité nationale, a créé une société de production qui domine le marché. La société a racheté plusieurs grands réseaux de télévision.

Des témoins expliquent que les scénaristes ont reçu pour instruction de suivre des directives spécifiques. Leurs histoires doivent glorifier l’armée et attaquer l’opposition. Leurs séries doivent également promouvoir les valeurs familiales conservatrices et encourager les jeunes Égyptiens à obéir à leurs parents. Sisi semble avoir l’intention de remodeler la fibre morale et intellectuelle du pays.

Selon les partisans d’El-Sisi, l’Égypte a besoin d’un dirigeant fort pour protéger le pays du chaos qui a submergé la Libye, la Syrie et le Yémen. Un dirigeant fort serait également nécessaire pour mettre en œuvre des réformes économiques impopulaires mais nécessaires.

Toutefois, selon certains analystes, cette forte emprise sur l’État et la société pourrait en définitive conduire Sisi à sa perte. « Le système a aliéné tant de secteurs de la société que Sisi pourrait devenir particulièrement vulnérable si son gouvernement devait faire face à un choc imprévu », explique Yezid Sayigh, chercheur au Carnegie Middle East Center à Beyrouth. « Le jour où ils auront besoin d’autres personnes au gouvernement ou dans le monde des affaires, ils n’auront peut-être personne pour les soutenir. »

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